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Echec des entrepreneurs : halte à la stigmatisation

par | Tribunes

2 Mar, 2015

En France, l’entrepreneur qui échoue est vite considéré comme un « loser ». Il est urgent d’agir pour combattre ces clichés.

Aux États-Unis, comme dans les pays nordiques, les personnes qui échouent dans leurs projets ne sont pas stigmatisées. On considère certes qu’elles ont dû faire des erreurs, mais on parle d’expérience et non d’échec.

En 2002, après l’éclatement de la bulle internet, de nombreux cadres se sont retrouvés au chômage. Les chasseurs de têtes des plus grandes firmes américaines se sont mis à les courtiser. Parmi eux, une catégorie avait plus la cote que les autres : celle des récidivistes. Autrement dit, ceux qui avaient échoué dans leur création d’entreprises, mais qui avaient recommencé à plusieurs reprises, sans succès. Ils étaient prisés pour leur courage, leur abnégation, leur capacité à rebondir, leur détermination, voire leur jusqu’au-boutisme.

C’est un scénario improbable en France, où l’échec est stigmatisant. Il est terrible, humiliant et, parfois, destructeur. Celui qui échoue est un « loser », un perdant, un minable. « Loser » : drôle d’anglicisme bien plus prégnant en France que chez les anglo-saxons.

Honte de l’échec

L’exemple américain est criant quant au rapport à l’erreur et donc à l’échec. Ainsi, pour un entretien d’embauche ou d’évaluation, la reconnaissance des erreurs est perçue comme une lucidité et une volonté de progresser. On reconnaît ses erreurs, on reconnaît ses défauts, sans avoir peur d’être jugé ou montré du doigt. On en est bien loin en France où les candidats se font fort de minimiser, voire de masquer leurs erreurs, de peur d’être sanctionnés, mal perçus.

Quand on échoue en France, on est marqué pour très longtemps. L’échec peut rapidement devenir un vrai calvaire, un échec familial et social. Le « perdant » doit parfois partir, quitter, aller ailleurs pour se reconstruire et exister à nouveau. On quitte son milieu professionnel, son quartier, sa ville, voire son pays pour se refaire, avoir une « seconde chance ».

Cette peur de l’échec, et surtout la peur de l’image terrible que renvoie l’échec dans la société, a pour conséquence d’annihiler le goût de l’initiative et le goût d’entreprendre.

Modèle statistique contre modèle probabiliste

De manière générale, le modèle français privilégie les élites quelles qu’elles soient et dans tous les domaines. En entrepreneuriat, on va préférer les personnes très diplômées, expérimentées, ayant une situation financière solide, un environnement familial favorable, un réseau relationnel étoffé…

Ce modèle très sélectif, qui s’appuie sur l’évaluation préalable du risque, est un modèle que j’appelle « statistique ». Il est censé minimiser le risque d’échec selon les vieux adages « miser sur le bon cheval » ou « se donner toutes les chances de réussir ». L’hypothèse de départ est celle de l’estimation du taux de réussite (donc du taux d’échec) et c’est là que le bât blesse !

Le modèle américain, quant à lui, tend à favoriser le nombre au détriment de la qualification (et non de la qualité) des projets ou des porteurs de projets. C’est ce que j’appelle le modèle « probabiliste ». Ainsi, sur un volume très important de projets, le modèle tient compte de l’échec quasi certain d’un grand nombre, de la réussite partielle d’un nombre moyen et surtout de la réussite exceptionnelle d’un tout petit nombre.

L’hypothèse de départ étant que les réussites viennent largement compenser les échecs et que ces derniers pourront à nouveau tenter leur chance (en reformulant) une deuxième voire une troisième fois jusqu’à devenir à leurs tours des réussites (ou pas !).

Nouvelle génération

Depuis quelques années, nous assistons en France à l’émergence d’une nouvelle génération de porteurs de projets, notamment dans le domaine du numérique. Ils n’ont peur de rien, ne remplissent pas toujours les critères « sélectifs » du modèle français qu’ils jugent « archaïque » et parviennent à convaincre, à faire avancer leurs idées et surtout à les faire financer avec des levées de fonds dignes de l’euphorie de la bulle internet. Ils ne sont pas très nombreux, mais on les voit, on les entend, et c’est bien là l’essentiel.

Certains réussissent, d’autres échouent, qu’importe ! Ils ont l’audace d’y croire, de réaliser leurs rêves, d’emporter tout à leur passage. Ils tracent un sillon que devraient emprunter les entrepreneurs de tous âges et de tous secteurs afin que changent les mentalités et les pratiques.

La « charte du rebond », le « rétablissement professionnel » sont des signes d’évolutions positifs et de prise de conscience au plus haut niveau de l’État. Il est encore temps d’agir, mais ça urge.

Notre modèle a vécu. Les difficultés sont là. Notre société est totalement transformée. Sans calquer, nous devons nous inventer notre propre modèle, innovant, ambitieux et décomplexé.

À l’heure où notre société est à court de solutions pour résorber un chômage endémique, il est temps de libérer les énergies, d’encourager les initiatives. L’innovation et la créativité ne sont possibles que si l’on intègre et que l’on dédramatise la notion d’échec dès l’école primaire. Il est temps de faire confiance à celles et ceux qui ont des idées, qui osent, qui vont de l’avant et en assument les risques. Notre société doit les encourager, les valoriser, les soutenir dans la réussite et dans l’échec !

Article publié dans Le Cercle Les Echos.

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Auteur de l’article :

Jalil Benabdillah