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Communication politique : quand l’art de tweeter (dé)fait un chef d’état

par | Communication

29 Juil, 2016

Lors de son discours d’investiture à la Convention démocrate de Philadelphie Hillary Clinton a ancré Twitter un peu plus profondément dans la pratique de la communication politique : en faisant le lien entre la manière dont Donald Trump tweete et sa capacité à diriger le pays elle a hissé Twitter au rang de critère d’appréciation décisif en la matière. Décryptage.

Une campagne violente sur Twitter

Comme souvent dans une campagne mouvementée et parfois déconcertante, Hillary Clinton a choisi la prise à partie des électeurs pour mettre en relief l’absence de maîtrise de soi du candidat républicain Donald Trump. Mais cette fois c’est à Twitter qu’elle s’est référée :

« Vous pensez vraiment que Donald Trump a le tempérament pour devenir le chef des armées ? Imaginez le faire face à une vraie crise. Un homme que vous pouvez perturber avec un simple tweet n’est pas un homme à qui l’on peut confier l’arme nucléaire.« 

Si la campagne frontale débute seulement, les campagnes des primaires ont déjà été marquées par des échanges vifs entre les deux camps républicain et démocrate, et souvent même entre les protagonistes principaux. Début juin Donald Trump avait ainsi relayé sur Twitter une image d’Hillary Clinton agrémentée d’une étoile de David (symbole s’il en est de la religion juive) sur le fond imprimé d’un billet de 100 dollars.

Le candidat républicain affuble par ailleurs presque systématiquement son adversaire désormais désignée du surnom de « Crooked Hillary », c’est-à-dire « Hillary la malhonnête ».

Crooked Hillary

Pour autant, ce n’est ni la bassesse de certaines attaques ni leur violence qu’a choisi de souligner Hillary Clinton en ce 28 juillet 2016, mais bien plutôt ce que leur expression par le biais d’un outil comme Twitter peut signifier. Ce faisant, elle officialise Twitter en tant qu’outil décisif en matière de crédibilité politique.

Une stratégie bien définie (ou pas)

Le premier critère qui élève Twitter au rang d’outil de communication politique efficace est celui de la stratégie : si, lors d’une campagne, vous tweetez en fonction du sens du vent et des flux et reflux de l’opinion – fusse celle de votre candidat -, vous vous exposez rapidement à des retours de flamme immédiats ou latents.

Car contrairement à ce que peuvent parfois laisser penser les échanges sur Twitter, le réseau social n’est pas un réseau de dialogue qui obéit aux règles de la conversation immédiate : sur Twitter, on crée un contenu qui est analysé, fouillé, critiqué, mis en perspective avec d’autres. Si les paroles s’envolent et les écrits restent, les tweets voyagent.

La stratégie en devient donc primordiale : on commence bien entendu par définir les lignes éditoriales, mais également la ligne formelle à adopter dans chaque situation dans le cadre d’une chaîne de décision limpide et réactive.

Twitter, relai d’actualité et filtre de tempérance

Car l’une des forces de Twitter, c’est de permettre une réaction immédiate et impactante lors de chaque actualité : Twitter a en cela ubérisé une presse dont le rôle principal se décentre peu à peu de celui d’apporteur d’information à celui de vérificateur d’information.

Dans le cadre d’une communication politique, la personnalité concernée ou son équipe se doit donc non seulement de relayer l’information, de choisir le média adapté au message (texte, visuel et/ou vidéo) mais aussi autant que possible d’en appréhender l’effet et les conséquences à court, moyen et long terme.

En ceci Twitter propose un filtre inédit : non seulement il suppose d’être capable d’avoir une vision immédiate de l’angle juste de relai d’une actualité mais il éprouve aussi le sens du timing d’un candidat et (surtout) sa tempérance. Combien de tweets de personnalités politiques ont été effacés honteusement pour avoir été postés dans une précipitation inutile !

Le tweet fail, arme de dissuasion électorale

Et c’est là que repose tout l’argument d’Hillary Clinton : il va de soi qu’elle ne lie pas la communication politique de Trump à sa stature d’état, d’autres ont mal communiqué mais bien gouverné.

Par contre Twitter est ainsi fait qu’il révèle plus que tout autre outil de communication (télévision, presse écrite et meeting compris) les failles de ses utilisateurs parce qu’il montre, à l’épreuve d’une campagne, les valeurs prioritaires du candidat et de son équipe, leurs méthodes de travail, leur capacité à s’organiser, à prendre du recul ou à réfléchir.

Dans certaines formations RH ou management on apprend parfois aux recruteurs ou aux cadres à jauger un collaborateur potentiel ou avéré à sa poignée de main, molle ou ferme, ou à sa façon de gérer son regard, direct ou fuyant. Du point de vue des observateurs, le vrai intérêt de Twitter en politique, c’est ce que les personnalités qui l’utilisent disent d’eux-mêmes sans s’en apercevoir. Peut être que Donald Trump y laissera l’espace qui le sépare du bouton de la bombe nucléaire : dans tous les cas, il aura permis à Hillary Clinton de prouver qu’un tweet fail reste une arme de dissuasion électorale redoutable.

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Auteur de l’article :

Stéphane Ozil